1- Sur la force majeure
Depuis le début de l’épidémie de COVID-19 beaucoup d’acteurs économiques pensent à invoquer la force majeure pour excuser l’inexécution de leurs obligations contractuelles.
Pourtant, la force majeure repose sur deux critères cumulatifs particulièrement difficiles d’application, si bien qu’ils n’ont jamais été, jusqu’à présent, retenus lors d’une épidémie.
Le premier critère d’application impose que l’événement ne puisse être raisonnablement prévu à la date de conclusion du contrat.
La difficulté dans le cas du COVID-19 est donc de déterminer, à partir de quel moment (événement), l’épidémie pouvait être reconnue (connue) par les parties comme ayant un impact sur le contrat.
Cette difficulté d’anticipation est d’autant plus forte que ce n’est pas tant l’épidémie elle-même qui constitue l’empêchement, mais davantage les mesures prises pour freiner sa propagation, mesures qui ne cessent d’ailleurs d’évoluer tant dans le temps que dans l’espace (zone verte et rouge, par exemple).
Mais le principal obstacle à la force majeure réside dans le second critère d’application : l’irrésistibilité.
Il faudra démontrer que le coronavirus justifie une incapacité totale d’exécuter son obligation. Or, il est évident qu’il est toujours possible de trouver les « mesures appropriées » de l’article 1218 du Code civil pour fournir la prestation prévue.
C’est pourquoi bien plus que l’existence ou non de mesures théoriques de substitution, le débat devrait porter sur le surcoût bien réel engendré par ce virus.
Or, depuis la réforme du droit des obligations en 2016, il existe un instrument répondant précisément à cette question : l’imprévision.
2- Sur l’imprévision
L’article 1195 du Code civil dispose :
« Si un changement de circonstances imprévisible lors de la conclusion du contrat rend l’exécution excessivement onéreuse pour une partie qui n’avait pas accepter d’en assumer le risque, celle-ci peut demander une renégociation du contrat à son cocontractant ».
Si l’on retrouve l’imprévisibilité de la force majeure, ce n’est plus une imprévisibilité absolue, intrinsèque, mais seulement le « changement de circonstances » qui doit être imprévisible, ce qui est beaucoup plus facile à établir.
De même, comme le Juge administratif l’a relevé depuis 1916, le coût excessivement onéreux peut être montré facilement, par un déficit d’exploitation ou même un dépassement du prix prévisionnel.
Certes, l’imprévision ne permet qu’une « renégociation » du contrat pendant laquelle le contrat est censé continuer à être exécuté. Mais, le contentieux administratif, où la même obligation de poursuite s’impose depuis longtemps, montre que le demandeur peut en être libéré si les circonstances en imposent l’arrêt ou si l’obstacle ne peut pas être surmonté. De plus, cette renégociation n’est qu’une étape précédant la résolution.
Par conséquent, plutôt que de se précipiter sur le brutal droit à résiliation unilatéral de l’article 1226 du Code civil ou sur la célèbre force majeure, l’imprévision semble une piste qui mérite d’être explorée car elle conjugue adaptabilité et graduation des solutions.