L’article 11 de la loi 2020-290 du 23 mars 2020, votée afin de faire face à l’épidémie du Covid-19, a autorisé le Gouvernement à prendre, par ordonnance, des mesures permettant aux employeurs d’imposer la prise de congés payés ou de jours de repos (I) et, pour les entreprises des secteurs « particulièrement nécessaires à la sécurité de la Nation et à la continuité de la vie économique et sociale », de déroger aux règles d’ordre public et aux stipulations conventionnelles relatives à la durée du travail, ainsi qu’au repos hebdomadaire et au repos dominical (II).
1- Concernant les congés payés et les jours de repos
L’article 1er de l’ordonnance 2020-323 du 25 mars 2020 déroge temporairement aux dispositions légales et conventionnelles en matière de congés payés et jours de repos afin de tenir compte de la propagation du Covid-19 et de ses conséquences économiques, financières et sociales.
a- Le droit commun
Pour rappel, conformément au Code du travail, la période de prise des congés est fixée par un accord collectif d’entreprise ou d’établissement ou, à défaut, par une convention ou un accord de branche.
En l’absence de telles dispositions conventionnelles, la période de congés et l’ordre des départs sont fixés par l’employeur, après avis du CSE.
Qu’elle soit fixée par accord ou unilatéralement par l’employeur, la période de prise des congés comprend obligatoirement la période du 1er mai au 31 octobre de chaque année, cette disposition étant d’ordre public.
Chaque salarié est ensuite informé individuellement de ses dates de vacances au moins un mois à l’avance (délai de prévenance d’ordre public également).
L’employeur peut modifier les dates de congés payés à condition de respecter un délai de prévenance fixé par l’accord collectif précité. À défaut, ce délai est d’un mois avant la date de départ initialement prévue.
Toutefois, des circonstances exceptionnelles peuvent autoriser les employeurs à changer les dates de vacances moins d’un mois avant la date prévue.
b- Les dérogations par voie d’accord d’entreprise ou de branche
La faculté d’imposer ou de modifier les congés payés des salariés est subordonnée à la conclusion d’un accord d’entreprise ou, à défaut, d’un accord de branche (Ord. art 1er, al. 1).
Il est à noter que l’ordonnance retient la primauté de l’accord d’entreprise sur l’accord de branche, comme le prévoit l’article L 2253-3 du Code du travail.
– L’employeur pourrait imposer jusqu’à 6 jours de congés
L’accord doit fixer les conditions dans lesquelles l’employeur est autorisé, dans la limite de 6 jours de congés et sous réserve de respecter un délai de prévenance qui ne peut être réduit à moins d’un jour franc, à décider de la prise de congés payés ou modifier unilatéralement les dates de prise des congés (Ord. art 1er, al. 1).
Les jours de congés imposés par l’employeur doivent être des jours de congés payés acquis par le salarié, y compris avant l’ouverture de la période au cours de laquelle ils ont normalement vocation à être pris (Ord. art 1er, al. 1).
Il est à noter qu’il s’agit là d’autoriser l’employeur à imposer au salarié la prise anticipée des congés payés, c’est-à-dire avant l’ouverture de la période de congés.
– L’accord peut permettre d’imposer le fractionnement des congés
L’accord peut autoriser l’employeur à fractionner les congés sans être tenu de recueillir l’accord du salarié (Ord. art 1er, al 2).
Il est à noter qu’il s’agit là d’une dérogation aux dispositions d’ordre public de l’article L 3141-19 du Code du travail selon lesquelles lorsque le congé principal est d’une durée supérieure à 12 jours ouvrables, il peut être fractionné avec l’accord du salarié.
c- La période d’application
La période de congés imposée ou modifiée en application du présent article ne peut s’étendre au-delà du 31 décembre 2020 (Ord. art 1er, al 3).
L’ordonnance 2020-323 ne précise pas si l’accord peut permettre d’imposer la prise ou la modification des 6 jours de congés au plus uniquement pendant la période d’urgence sanitaire ou bien au-delà de cette période.
À défaut de précision contraire, ces mesures ont vocation à s’appliquer jusqu’au 31 décembre 2020 ou jusqu’au terme défini par les partenaires sociaux.
d- Jours de repos et RTT
Certains dispositifs légaux et conventionnels permettent aux salariés de poser à leur convenance, en sus des congés payés, des jours de repos ou de réduction du temps de travail (ci-après « RTT »).
C’est le cas en particulier des salariés bénéficiant d’un aménagement du temps de travail, d’une convention de forfait en jours et/ou d’un compte épargne-temps.
Les articles 2 à 5 de l’ordonnance du 25 mars 2020 prévoient la possibilité pour l’employeur de déroger aux règles légales et conventionnelles applicables à ces dispositifs et d’imposer la prise de jours de repos aux salariés en bénéficiant ou de modifier leurs dates.
2- Concernant l’aménagement du temps de travail
L’article 2 de l’ordonnance autorise l’employeur à :
– Imposer la prise, à des dates déterminées par lui, de jours de repos normalement au choix du salarié acquis par ce dernier ;
– Modifier unilatéralement les dates de prise de jours de repos.
a- Convention de forfait
Un nombre de jours de repos est déterminé chaque année pour les salariés soumis à une convention de forfait en jours afin de respecter le nombre de jours travaillés prévu par la convention de forfait.
L’article 3 de l’ordonnance permet à l’employeur de :
– décider de la prise, à des dates déterminées par lui, de jours de repos prévus par une convention de forfait ;
– modifier unilatéralement les dates de prise de jours de repos prévus par une convention de forfait.
b- Compte épargne-temps
Les salariés bénéficiant d’un compte épargne-temps peuvent l’alimenter en temps (jours de repos, congés payés…) ou en argent. Les droits affectés peuvent être utilisés, dans les conditions définies par l’accord ou la convention collective, pour obtenir par exemple un complément de rémunération, alimenter leur épargne retraite ou se faire indemniser des périodes d’absence.
En principe, l’employeur ne peut pas imposer au salarié l’utilisation de ses droits, sauf pour les heures de travail affectées sur le CET à son initiative.
L’article 4 de l’ordonnance octroie à l’employeur la faculté d’imposer l’utilisation des droits affectés sur le compte épargne-temps du salarié par la prise de jours de repos, dont il détermine les dates.
Pour imposer la pose ou la modification des dates de prise des jours de repos, l’employeur doit remplir plusieurs conditions :
– l’intérêt de l’entreprise doit le justifier eu égard aux difficultés économiques liées à la propagation du Covid-19 (art. 2 à 4) ;
– un délai de prévenance d’au moins un jour franc doit être respecté (art. 2 à 4) ;
– le nombre total de jours de repos dont l’employeur peut imposer au salarié la prise ou dont il peut modifier la date ne peut être supérieur à 10 (art. 5) ;
– la période de prise de repos imposée ou modifiée ne peut pas s’étendre au-delà du 31 décembre 2020 (art. 3 et 4) ;
– le comité social et économique doit être informé sans délai et par tout moyen (Ord. 2020-389 du 1-4-2020 art. 7).
c- Durées maximales de travail
L’article 6 de l’ordonnance autorise en outre les entreprises relevant de secteurs d’activité particulièrement nécessaires à la sécurité de la Nation et à la continuité de la vie économique et sociale à déroger aux durées maximales de travail légales et, le cas échéant, aux stipulations conventionnelles applicables.
Les dérogations cesseront toutefois de produire leurs effets le 31 décembre 2020.
Il est à noter que la liste des secteurs particulièrement nécessaires à la sécurité de la Nation et à la continuité de la vie économique et sociale sera prochainement fixée par décret.
Selon le ministère du travail, seront probablement concernés les secteurs de l’énergie, des télécommunications, de la logistique, des transports, de l’agriculture et de l’agroalimentaire.
Ainsi, ces entreprises peuvent :
– porter la durée quotidienne maximale de travail, fixée à 10 heures, jusqu’à 12 heures ;
– porter la durée quotidienne maximale de travail accomplie par un travailleur de nuit jusqu’à 12 heures (contre 8 heures) ;
– réduire la durée de repos quotidien, fixée à 11 heures, jusqu’à 9 heures consécutives, sous réserve de l’attribution d’un repos compensateur égal à la durée du repos dont le salarié n’a pas pu bénéficier ;
– porter la durée hebdomadaire maximale absolue jusqu’à 60 heures (contre 48 heures) ;
– porter la durée hebdomadaire de travail calculée sur une période quelconque de 12 semaines consécutives (ou 12 mois pour certains employeurs ayant une activité agricole), fixée à 44 heures, jusqu’à 48 heures ;
– porter la durée hebdomadaire de travail du travailleur de nuit calculée sur une période de 12 semaines consécutives jusqu’à 44 heures (contre 40 heures).
Un décret à paraître fixera pour chacun des secteurs d’activité concernés les catégories de dérogations admises parmi celles mentionnées et, dans le respect des limites qu’elles fixent, la durée maximale de travail ou la durée minimale de repos qui peut être fixée par l’employeur.