Le 19 juin 2024, l’UE a publié un ensemble législatif visant à renforcer la lutte contre le blanchiment d’argent (LCB) et le financement du terrorisme (FT). Au cœur de ces réformes figure la création de l’Autorité de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme (« ALCB »), accompagnée d’un ensemble de règlements et de directives qui élargissent les obligations LBA/FT dans toute l’Union. Ces changements marquent une étape significative dans la manière dont les crimes financiers sont traités, dans l’optique d’harmoniser et consolider les mesures anti-blanchiment dans tous les Etats membres.
Objectifs clés et structure de la nouvelle législation
Le paquet législatif comprend quatre textes principaux :
- Règlement (UE) 2024/1620 du Parlement européen et du Conseil du 31 mai 2024 instituant l’Autorité de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme et modifiant les règlements (UE) n° 1093/2010, (UE) n° 1094/2010 et (UE) n° 1095/2010 (« RALCB»)
Ce règlement pose les bases de l’ALCB, qui deviendra opérationnelle en juillet 2025. L’ALCB jouera un rôle clé dans l’élaboration de normes réglementaires, la coordination des Cellules de Renseignement Financier (CRF) nationales, et la supervision directe des entités financières à haut risque opérant dans plusieurs Etats membres.
- Règlement (UE) 2024/1624 du Parlement européen et du Conseil du 31 mai 2024 relatif à la prévention de l’utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux ou du financement du terrorisme (« RLCB»)
Ce règlement, qui entrera en vigueur en juillet 2027, vise à prévenir le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme en introduisant des obligations de vigilance renforcée et des procédures Know Your Customer (KYC) pour un plus large éventail de secteurs, y compris les fournisseurs de services d’actifs numériques et les négociants en produits de luxe.
- Directive (UE) 2024/1640 du Parlement européen et du Conseil du 31 mai 2024 relative aux mécanismes à mettre en place par les États membres pour prévenir l’utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux ou du financement du terrorisme, modifiant la directive (UE) 2019/1937, et modifiant et abrogeant la directive (UE) 2015/849 (« DLCB 6»)
Devant être transposée dans les droits nationaux d’ici juillet 2027, cette directive impose aux Etats membres de mettre en place des cadres LCB-FT solides. Elle actualise les directives européennes précédentes et introduit des mécanismes pour une supervision et une application améliorées au niveau national.
- Directive (UE) 2024/1654 du Parlement européen et du Conseil du 31 mai 2024 modifiant la directive (UE) 2019/1153 en ce qui concerne l’accès des autorités compétentes aux registres centralisés des comptes bancaires par l’intermédiaire du système d’interconnexion et les mesures techniques visant à faciliter l’utilisation des relevés de transactions
Cette directive vise à améliorer l’accès des autorités aux registres centralisés des comptes bancaires dans toute l’UE. D’ici 2029, ce système permettra un partage efficace des données entre les ÉEtats membres, renforçant ainsi la transparence des transactions financières.
Ces règlements et directives introduisent une approche unifiée de la conformité LCB-FT à travers l’UE, en s’éloignant des lois nationales fragmentées. Bien que les exigences posées soient considérables, leur application progressive dans le temps permet aux entreprises d’adapter leurs opérations aux nouvelles règles au fur et à mesure.
Création d’une nouvelle autorité : l’ALCB
La création de l’ALCB représente une avancée majeure dans la stratégie LCB-FT de l’UE. Basée à Francfort, l’ALCB développera les normes techniques soutenant les nouvelles réglementations et supervisera les institutions à haut risque dans toute l’UE. Elle collaborera étroitement avec les organes de supervision nationaux et jouera un rôle direct dans la surveillance des institutions jugées à risque élevé.
Les rôles clés de l’ALCB incluent :
- Supervision directe: L’ALCB évaluera les institutions de crédit et financières opérant dans six Etats membres ou plus. Les institutions à haut risque pourront être placées sous sa supervision directe ou être conjointement supervisées avec les autorités nationales.
- Imposition de sanctions: L’ALCB a le pouvoir de rendre des décisions contraignantes et d’imposer des amendes ou des sanctions pour non-conformité, ces décisions étant soumises à révision par la Cour de justice de l’Union européenne.
- Coordination des CRF (cellules de renseignement financier) nationales: En harmonisant les efforts entre les Etats membres, l’ALCB améliorera le partage des renseignements et la coopération opérationnelle au niveau européen.
Les amendes financières de l’ALCB seront soumises à l’examen de la Cour de justice de l’Union européenne. L’autorité devrait être pleinement opérationnelle d’ici le 31 décembre 2025, comme l’a indiqué la Commission européenne.
Introduction de nouvelles obligations pour combler les lacunes de l’ancien cadre
Le nouveau paquet législatif s’attaque aux lacunes et incohérences qui ont affecté l’ancien cadre LCB-FT, l’harmonisation étant l’objectif central, car la dépendance antérieure à la transposition nationale des directives de l’UE a conduit à des mises en œuvre incohérentes et à une supervision inefficace. Le RCLB, qui s’appliquera à partir du 10 juillet 2027 (à l’exception des agents de football et des clubs de football professionnels dans certaines transactions, pour lesquels il s’appliquera à partir du 10 juillet 2029), introduit une série de nouvelles obligations :
- Evaluations périodiques des salariés: Evaluations régulières des salariés responsables de la conformité LCB et FT.
- Mesures LCB à l’échelle du groupe: Les institutions mères doivent mettre en œuvre des mesures LCB et FT à l’échelle du groupe, y compris pour les filiales opérant dans des pays tiers, avec certaines exceptions. Les normes techniques réglementaires, qui seront rédigées par l’ALCB au plus tard le 10 juillet 2026, fourniront plus de détails.
- Diligence raisonnable et procédures KYC: Exigences standardisées pour la diligence raisonnable dans les transactions en espèces et les procédures Know Your Customer (KYC).
- Contre-mesures contre les pays à haut risque: Les entités de l’UE devront limiter leurs relations d’affaires avec des individus ou des entités des pays à haut risque.
- Obligations spéciales: Interdictions de relations avec des institutions-écrans et obligations supplémentaires pour les fournisseurs de services d’actifs cryptographiques.
- Partage d’informations: Un cadre juridique facilitera l’échange d’informations entre les institutions obligées concernant la diligence raisonnable des clients.
- Durée de conservation des documents: De nouvelles règles régiront la conservation des documents liés aux processus LCB et FT.
- Coopération avec les CRF: Les institutions obligées devront coopérer avec les cellules de renseignement financier (CRF) et signaler les activités suspectes.
- Suspension des transactions: Les transactions suspectées d’impliquer des produits criminels ou du financement du terrorisme devront être signalées à la CRF et ne pourront pas être effectuées sans son autorisation.
Un autre changement notable introduit par le RLCB est l’élargissement des types d’entreprises qui relèvent de la définition des « entités assujetties ». De nouveaux entrants incluent, par exemple, les fournisseurs de services d’actifs cryptographiques et les plateformes de financement participatif, ainsi que les entités négociant des biens de grande valeur tels que les bijoux, les montres, les véhicules de luxe et les clubs de football professionnels impliqués dans des transactions de grande valeur.
Ces ajouts reflètent la nature évolutive des crimes financiers, où les secteurs non traditionnels sont de plus en plus exploités pour le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme.
Renforcement des règles sur le bénéficiaire effectif
Le RLCB introduit des règles plus strictes sur la propriété effective pour lutter contre l’utilisation de structures d’entreprises complexes à des fins illicites. Les entreprises doivent divulguer leurs bénéficiaires effectifs et enregistrer cette information dans des bases de données centralisées. Cette transparence facilite le travail des autorités pour retracer les structures de propriété à travers l’UE, une amélioration significative par rapport aux règles précédentes qui permettaient aux entreprises de dissimuler la propriété à travers des montages complexes.
Vigilance renforcée et conformité interne
Un autre aspect clé du RLCB est l’introduction d’exigences de diligence raisonnable renforcée. Les professionnels, tels que les avocats et notaires, doivent effectuer des vérifications non seulement concernant leurs clients, mais aussi concernant les autres parties de la transaction en question. De plus, le RLCB impose la nomination d’un gestionnaire de la conformité au sein de chaque entité assujettie. Ce gestionnaire de la conformité, généralement un membre du conseil d’administration, supervisera la conformité aux exigences LCB-FT, soutenu dans ses tâches par un responsable de la conformité LCB chargé de la mise en œuvre quotidienne des politiques LCB-FT.
Bases de données centralisées et partage d’informations
Pour faciliter le partage d’informations et améliorer la coopération entre les Etats membres, la nouvelle DLCB 6 prévoit la création de bases de données centralisées. Celles-ci hébergeront des informations sur les bénéficiaires effectifs, les titulaires de comptes bancaires et, de manière significative, les comptes d’actifs cryptographiques. D’ici 2029, le système d’interconnexion des registres des comptes bancaires (RCB) sera opérationnel, permettant aux CFR et aux autorités de supervision de toute l’UE d’accéder efficacement à ces bases de données.
De plus, les Etats membres devront garantir que les autorités compétentes aient un accès instantané et gratuit aux informations pour identifier les propriétés immobilières et leurs propriétaires bénéficiaires, ainsi que les données nécessaires à l’analyse des transactions immobilières. Cet accès sera facilité par un point d’accès unique dans chaque Etat membre, permettant aux autorités de récupérer les informations électroniquement dans un format numérique.
Défis et perspectives
Bien que le nouveau paquet LCB-FT constitue un pas important vers l’unification de l’approche de l’UE face à la criminalité financière, sa mise en œuvre réussie dépend de la coordination entre les autorités nationales et l’ALCB. Les Etats membres doivent établir des mécanismes solides de supervision et d’échange d’informations, en mettant l’accent sur la transposition rapide des directives dans le droit national.
De plus, certaines dispositions, telles que la supervision directe des entités à haut risque par l’ALCB, marquent un changement radical dans la manière dont la conformité LCB-FT est appliquée à travers l’Union. Ce nouveau modèle introduit la possibilité de sanctions pour non-conformité à l’échelle de l’UE, contournant les mécanismes d’application nationaux dans les situations à haut risque.