Réforme judiciaire en Hongrie : avancées et critiques
Le 3 mai 2023, le Parlement hongrois a adopté la loi X de 2023 (la « Réforme »), modifiant diverses lois liées à la justice dans le cadre du plan pour la reprise et la résilience hongrois. La Réforme introduit des mesures ayant pour objectif de satisfaire les conditions fixées par l’Union européenne pour débloquer les fonds européens gelés, une partie essentielle de la facilité pour la reprise et la résilience hongroise (la « FRR »). Alors que le gouvernement hongrois revendique des progrès dans la réalisation des jalons clés de l’indépendance judiciaire, plusieurs ONG hongroises ont exprimé leurs inquiétudes quant à l’efficacité de la Réforme pour atteindre ces objectifs.
L’adoption et la mise en œuvre de la Réforme revêtent une importance capitale pour la Hongrie pour plusieurs raisons :
- Accès aux fonds de l’UE : Au-delà d’être une condition préalable à la réception des fonds de la FRR, la réforme judiciaire est également essentielle pour dix Décisions d’Application de la Commission approuvant les programmes opérationnels de la Hongrie financés par l’Union. Ce lien complexe signifie que le respect des jalons est directement lié au déblocage de 27 milliards d’euros de fonds de l’Union.
- Préservation de l’Etat de droit : La mise en place de super jalons judiciaires a été motivée par des préoccupations relatives à l’Etat de droit, faisant suite aux recommandations adoptées par les instances européennes dans le cadre de divers mécanismes, telles que les recommandations spécifiques à chaque pays, les examens annuels de l’Etat de droit et une procédure de l’article 7 à l’encontre de la Hongrie. Un jalon concerne même un arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne (la « CJUE ») qui n’a pas été mis en œuvre depuis 2021, soulignant la nécessité de traiter les problèmes sous-jacents liés à l’Etat de droit.
- Restauration de l’indépendance judiciaire : Au cours de la dernière décennie, les garanties protégeant l’indépendance judiciaire se sont érodées. Les super jalons établis par la Commission européenne posent les bases de la restauration de l’indépendance judiciaire en Hongrie.
Plusieurs ONG ont fait part de leurs inquiétudes concernant la Réforme, en mentionnant par exemple le fait que le Parlement l’a votée en seulement trois jours ouvrables et qu’elle ne respecte pas entièrement les super jalons fixés par l’Union. Elles ont en effet soulevé que la Réforme a été adoptée sans consultation publique et débat parlementaire préalables, remettant ainsi en question les principes de la légalité et de l’élaboration transparente des lois. Elles estiment que ce vote non seulement porte atteinte au processus démocratique prévu, mais jette également un doute sur la transparence de l’adoption de la Réforme.
Bien que la Réforme tente d’aborder quatre jalons judiciaires significatifs, les ONG estiment que trois d’entre eux sont entachés de lacunes. Des problèmes persistent concernant d’une part l’autorité du Conseil National de la Magistrature (le « CNM », en hongrois : « Országos Bírói Tanács », l’organe de surveillance de l’administration centrale des tribunaux, qui incarne l’auto-administration du pouvoir judiciaire dans le service judiciaire hongrois, et est donc le plus haut organe public du pouvoir judiciaire, indépendant du législatif et de l’exécutif), d’autre part l’indépendance de la Cour suprême de Hongrie, connue sous le nom de Kúria, et enfin les renvois préjudiciels à la Cour de justice de l’Union européenne.
Griefs concernant le CNM :
La sélection des juges est cruciale pour l’indépendance du pouvoir judiciaire. Répondant à l’une des exigences énoncées dans le super jalon 213.a), la Réforme prévoit que le CNM émettra un avis contraignant sur le projet de décret ministériel relatif au système de points pour les postes judiciaires. Le CNM pourra introduire une requête auprès de la Cour constitutionnelle si son avis contraignant n’est pas demandé dans le processus législatif. Cependant, la Réforme ne fixe pas de délai pour modifier le décret ministériel actuel, en vigueur depuis 2011. Ceci soulève des questions sur l’engagement du gouvernement à habiliter pleinement le CNM de ses pouvoirs et à garantir la mise en œuvre en temps voulu des modifications nécessaires. De plus, l’influence potentielle du ministère de la Justice sur ce processus introduit un élément d’incertitude qui pourrait compromettre les pouvoirs prévus du CNM. En l’absence de cadre bien défini et de calendrier de modification, les nouveaux pouvoirs du CNM pourraient ainsi rester limités.
Griefs concernant l’indépendance de la Kúria :
Malgré des améliorations évidentes, des défis persistent au sein de la Kúria, la Cour Suprême de Hongrie. La question de l’élection de son président demeure problématique, car l’exigence d’un minimum de deux ans d’expérience en tant que juge de la Kúria pourrait potentiellement limiter le groupe de candidats éligibles. Par ailleurs, la question des transferts judiciaires prévus par la Réforme soulève des inquiétudes quant à un risque d’influence ou de favoritisme dans les nominations. Les conditions ambiguës du processus d’attribution des affaires et la composition de la chambre compétente pour les questions d’interprétation de la loi (chambre rendant des décisions dans des affaires soulevant des questions d’importance théorique afin d’assurer l’application uniforme de la loi au sein du pouvoir judiciaire hongrois) constituent également des éléments qui entravent la pleine autonomie de la Kúria et nuisent à la transparence de ses mécanismes de prise de décision.
Griefs concernant les renvois préjudiciels à la CJUE :
La Réforme n’a pas levé l’ensemble des obstacles aux renvois préjudiciels à la CJUE, empêchant les juridictions hongroises de saisir de manière indépendante la CJUE de questions préjudicielles. La Réforme n’a en effet pas traité la question du précédent jurisprudentiel de la Kúria énonçant en principe que la saisine de la CJUE est illégale si la question posée n’est pas pertinente et nécessaire à la résolution du litige concerné. Afin de pleinement satisfaire les conditions prévues par le super jalon 215 et garantir une entière conformité avec les normes de l’UE, il est impératif que cet obstacle soit clairement abordé, éventuellement au moyen de dispositions explicites dans les codes de procédure prévoyant la primauté des renvois à la CJUE et annulant les interprétations contradictoires.
Griefs concernant l’état d’urgence :
Enfin, l’un des défis les plus pressants sur la voie de la réforme judiciaire en Hongrie est la persistance de « l’état d’urgence ». Ce cadre, établi en 2020, permet au gouvernement de statuer par décret en cas d’urgence. Bien qu’il ait été initialement prévu pour gérer la pandémie, ses effets négatifs potentiel sur l’indépendance du pouvoir judiciaire soulèvent des inquiétudes. Les décrets gouvernementaux d’urgence émis pendant l’état d’urgence peuvent outrepasser les actes parlementaires et même restreindre les droits fondamentaux dans des circonstances exceptionnelles. Le problème réside dans l’interprétation large de « l’urgence », qui permet au gouvernement de prolonger l’état d’urgence sans limitations claires. Ces pouvoirs étendus pourraient permettre au gouvernement de passer outre les actes législatifs concernant le secteur judiciaire, y compris les dispositions de la Réforme.
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La Réforme constitue une avancée significative vers le déblocage des fonds de l’UE et le rétablissement de l’indépendance judiciaire en Hongrie. Bien que des progrès aient été réalisés, des lacunes subsistent dans le processus législatif et la mise en œuvre des jalons judiciaires prévus par la Commission européenne.