Pour rappel, le 30 novembre 2022, la Commission européenne a publié une communication au Conseil et une proposition au Conseil dans lesquelles elle recommandait de geler :
- d’une part 5,8 milliards d’euros du plan de relance post-Covid-19, correspondant à 70% de l’enveloppe totale d’un montant de 7,2 milliards d’euros destinée à la Hongrie, et
- d’autre part 7,5 milliards d’euros de fonds de cohésion, soit 65% des fonds prévus pour la Hongrie dans le cadre de trois programmes de la politique de cohésion, correspondant à environ 20% de l’enveloppe totale qui revient à la Hongrie pour la période 2021-2027,
et ce, tant que le gouvernement hongrois ne ferait pas le nécessaire pour améliorer l’état de droit. La Commission européenne estimait en effet que la Hongrie n’avait pas suffisamment progressé dans ses réformes pour améliorer l’état de droit et recommandait donc le gel de 13,3 milliards d’euros destinés à la Hongrie.
Si le plan national de relance post-covid de la Hongrie n’était pas validé avant la fin 2022 par l’exécutif européen, la Hongrie risquait de perdre définitivement les 5,8 milliards de subventions qui devaient lui être allouées à ce titre.
Le 12 décembre 2022, les ambassadeurs des 27 pays membres de l’Union se sont réunis et ont trouvé un accord sur quatre dossiers : le programme d’aide pour l’Ukraine, le taux d’imposition minimal de 15 % pour les sociétés multinationales et deux dossiers concernant la Hongrie, l’approbation de son Plan de relance et la réduction du montant gelé des fonds de cohésion.
D’une part, les Etats membres ont décidé de valider le plan de relance post-covid de la Hongrie, soit 5,8 milliards d’euros de subventions. Avec cette décision, ces fonds ne sont donc pas perdus, mais ils restent gelés.
D’autre part, les Etats membres ont décidé de réduire le montant gelé des fonds de cohésion. Alors que la Commission préconisait, au nom du mécanisme de conditionnalité du versement des fonds européens au respect de l’Etat de droit, de geler 7,5 milliards de fonds de cohésion, les Etat membres ont ainsi réduit cette somme à 6,3 milliards d’euros (soit 55 % de fonds gelés au lieu des 65% préconisés par la Commission). En contrepartie, la Hongrie a levé son veto sur le projet d’impôt minimum et son blocage de l’aide à l’Ukraine à hauteur de 18 milliards d’euros provenant du budget européen.
La Hongrie ne pourra néanmoins bénéficier de ces 12,1 milliards d’euros de fonds européens (au titre du plan de relance et des fonds de cohésion) que si la Commission se dit satisfaite de la tenue des engagements pris par le gouvernement hongrois, à savoir la réalisation de 27 «super jalons», comprenant les 17 mesures anticorruption ainsi que des réformes pour améliorer l’indépendance du système judiciaire.
1. Sur la procédure de conditionnalité déclenchée à l’encontre de la Hongrie
Afin d’éviter que des Etats membres qui enfreignent l’état de droit et la démocratie ne profitent des fonds européens, l’Union européenne a mis en place un dispositif conditionnant le versement des fonds européens au respect des valeurs européennes. Le règlement (UE, Euratom) 2020/2092 sur la procédure de conditionnalité a été adopté par le Parlement et le Conseil le 16 décembre 2020 et est entré en vigueur en janvier 2021.
Aux termes de ce règlement, la Commission européenne engage la procédure de conditionnalité lorsqu’elle estime que les violations des principes de l’Etat de droit dans un Etat membre portent atteinte ou présentent un risque sérieux de porter atteinte à la bonne gestion financière du budget de l’Union ou à la protection des intérêts financiers de l’Union. Après une phase de consultation et échanges entre le pays membre concerné et la Commission, la Commission propose au Conseil des mesures appropriées et proportionnées. Le Conseil prend ensuite une décision finale sur les mesures proposées.
Le mécanisme de conditionnalité a été activé pour la première fois en avril 2022 à l’encontre de la Hongrie, en raison d’irrégularités systématiques dans les passations de marchés publics, ainsi que de défaillances en matière de poursuites judiciaires et de lutte contre la corruption.
En septembre 2022, la Commission européenne, dans une notification écrite exposant les éléments factuels et les motifs précis sur lesquels reposent ses constatations, a donné l’échéance du 19 novembre à la Hongrie pour mettre en place des réformes afin de renforcer de l’état de droit et le cadre de la lutte contre la corruption et l’indépendance de la justice et d’améliorer la concurrence dans les marchés publics.
2. Sur les mesures mises en place par la Hongrie
Dans le cadre de l’échange avec la Commission, la Hongrie s’est engagée de mettre en place 17 mesures correctives, telles que i) le renforcement de la prévention, de la détection et de la correction des illégalités et des irrégularités concernant la mise en œuvre des fonds de l’Union, par l’intermédiaire d’une nouvelle autorité chargée de l’intégrité, ii) la mise en place d’un groupe de travail anti-corruption ; iii) l’introduction d’une procédure spécifique en cas de délits spéciaux liés à l’exercice de l’autorité publique ou à la gestion des biens publics ; iv) la réduction de la part des procédures d’appel d’offres avec offres uniques.
La Hongrie a procédé à l’adoption de plusieurs textes législatifs entre fin septembre et début octobre 2022. L’une des mesures principales proposées par la Hongrie est la création de l’Autorité de l’Intégrité (en hongrois « Integritás Hatóság »).
Aux termes de la nouvelle loi entrée en vigueur le 11 octobre 2022, l’Autorité de l’Intégrité est un organe autonome de l’administration publique, indépendant dans l’accomplissement de ses tâches, soumis uniquement à la loi et agissant indépendamment de tout autres organes. Elle agit dans tous les cas où elle estime qu’un organisme ayant des responsabilités et des pouvoirs en relation avec l’utilisation ou le contrôle des fonds de l’UE n’a pas pris les mesures nécessaires pour prévenir, détecter et corriger la fraude, les conflits d’intérêts, la corruption et autres irrégularités ou infractions portant atteinte à la bonne gestion financière du budget de l’Union ou à la protection des intérêts financiers de l’UE, ou lorsqu’il existe un risque sérieux que cela se produise.
L’Autorité a plusieurs missions:
- Analyse et proposition : L’Autorité effectue un exercice d’évaluation du risque d’intégrité, produit un rapport annuel d’analyse de l’intégrité et émet des recommandations.
- Enquête et contrôle : elle peut diligenter une enquête, engager une procédure d’irrégularité avec l’autorité de gestion compétente, demander à l’autorité compétente d’engager une procédure (l’Autorité n’a pas la possibilité de saisir directement les tribunaux, mais elle peut solliciter l’autorité compétente d’agir) et introduire des recours en carence devant les tribunaux.
- Pouvoirs d’autorité administrative : l’Autorité effectue des contrôles officiels des procédures de passation de marchés publics mises en œuvre ou dont la mise en œuvre est prévue avec des fonds de l’Union européenne ; elle peut imposer des obligations d’information. Elle tient un registre des personnes morales, des entreprises individuelles et des entrepreneurs individuels exclus des procédures de passation de marchés publics en raison de certaines infractions pénales.
- Signalement: L’Autorité est tenue de signaler aux autres autorités compétentes, y compris l’Office européen de lutte antifraude et le Parquet européen, tout soupçon de fraude, de conflit d’intérêts, de corruption ou toute autre situation illégale ou irrégulière.
L’Autorité agit de sa propre initiative ou sur la base d’une plainte, sur la base de toute information dont elle dispose. La loi prévoit en effet que toute personne détectant une infraction ou une irrégularité entrant dans le champ des compétences de l’Autorité peut saisir celle-ci en déposant une requête de manière anonyme.
L’Autorité est dirigée par un président et compte deux vice-présidents (désignés ensemble comme le conseil d’administration de l’Autorité). Le conseil d’administration rend compte chaque année de ses activités au Parlement. Son rapport est transmis à la Commission européenne.
La loi sur l’Autorité de l’Intégrité, a également établi le nouveau groupe de travail anti-corruption, un organe ayant des fonctions d’analyse, de proposition, de conseil et de décision, travaillant aux côtés mais indépendamment de l’Autorité de l’Intégrité.
3. Sur l’évaluation de la Commission
Dans sa communication, la Commission estime que de nombreuses réformes ont été engagées, telles que la mise en place du groupe de travail anti-corruption, le renforcement des mécanismes d’audit et de contrôle ou encore la réduction de la part des procédures d’appel d’offres financées par des fonds de l’Union qui sont clôturées avec une soumission unique. Néanmoins, elle considère que la Hongrie n’a pas mis en œuvre de manière suffisante certains aspects essentiels des 17 mesures correctives pour l’échéance du 19 novembre 2022.
Les remarques de la Commission sur l’Autorité de l’Intégrité portent, entre autres, sur les points suivants:
- Absence de disposition claire fixant que l’Autorité de l’Intégrité conserve sa compétence lorsqu’un projet ne bénéficie plus du financement de l’Union: L’article 3 de la loi sur l’Autorité de l’Intégrité relatif à l’exécution des missions de l’Autorité dispose que « lorsqu’un projet est écarté du financement de l’UE, cela ne conduit pas à priver l’Autorité de ses pouvoirs s’il existe un cas de fraude, de conflit d’intérêts, de corruption ou d’autres illégalités ou irrégularités portant atteinte ou risquant sérieusement de porter atteinte à la bonne gestion financière du budget de l’UE ou à la protection des intérêts financiers de l’UE». Selon la manière dont elle est interprétée, cette disposition en tant que telle ne doit pas nécessairement priver l’Autorité de l’Intégrité de ses pouvoirs dans le cas où un projet ne bénéficie plus du financement de l’Union. Selon la Commission, l’interprétation et l’application de cette disposition dépendront des décisions des autorités hongroises et il est également possible que cette disposition soit interprétée d’une manière qui permette de priver l’Autorité de l’Intégrité de ses pouvoirs dès qu’elle entame l’examen de certaines procédures de passation de marchés publics.
- Faiblesses du système de contrôle juridictionnel des décisions des pouvoirs adjudicateurs qui ne suivent pas les recommandations de l’Autorité pour l’intégrité: L’Autorité n’a pas la possibilité de saisir directement les tribunaux et par conséquent, il existe des doutes quant à l’efficacité du contrôle juridictionnel des cas dans lesquels le pouvoir adjudicateur ne suit pas la recommandation de l’Autorité de l’Intégrité.
- Faiblesses de la procédure de révocation des membres de l’Autorité de l’Intégrité: La Commission estime que la procédure de révocation des membres du conseil d’administration est de courte durée, puisqu’il n’est prévu que trente jours entre le dépôt de la requête et la décision judiciaire en première instance. Compte tenu de ce délai, il serait difficile pour le membre du conseil d’administration concerné par une procédure de révocation d’organiser efficacement sa défense et pour la juridiction compétente d’assurer l’échange des mémoires, la tenue des audiences et la protection des droits de la défense et des droits procéduraux.
- Limitation du champ d’application liée à l’absence d’inclusion de l’ensemble des «fonctionnaires à haut risque» dans les compétences de l’Autorité pour l’intégrité en matière de vérification des déclarations de patrimoine
- Absence de transparence totale de la procédure de sélection des membres de l’Autorité de l’Intégrité: le deuxième vice-président du conseil d’administration a été nommé alors que d’autres candidats avaient obtenu un plus grand nombre de points à l’issue de la procédure de sélection.
La Commission estime également que le cadre réglementaire pour l’introduction d’une procédure spécifique en cas d’infractions spéciales liées à l’exercice de l’autorité publique ou à la gestion de biens publics ne respecte pas tous les engagements fixés par la mesure corrective et comporte des règles qui compromettent son efficacité.
Enfin, la Commission fait observer que l’engagement pris par le gouvernement hongrois de mettre en place, pour le 31 mars 2023 au plus tard, un système de déclarations de patrimoine déposées par voie électronique dans un format numérique, qui sera stocké dans une base de données publique qui pourra être consultée gratuitement et sans qu’il soit nécessaire de s’enregistrer, ne se reflète pas encore dans le cadre réglementaire. Selon la Hongrie, les règles relatives au système seront élaborées et adoptées ultérieurement, au plus tard le 31 mars 2023.
4. Sur la position de la Hongrie
Le compromis conclu le 12 décembre dernier a été présenté par le premier ministre Viktor Orbán comme « un bon résultat ». Le gouvernement hongrois s’est dit prêt à convaincre l’UE de sa volonté de lutter contre la corruption, afin d’obtenir l’an prochain le versement des fonds européens gelés. « Nous allons mettre en place les mesures supplémentaires exigées et, en 2023, nous ne doutons pas que nous parviendrons à convaincre la Commission (…) qu’il n’est pas nécessaire de suspendre les fonds », a déclaré Tibor Navracsics, ministre responsable du Développement territorial et de l’utilisation des fonds européens.